J’ai vu le film, j’ai vu comment tu regardais les corps, pourquoi ne m’as-tu jamais dit que ton cinéma, c’était ça, ce désir que tu as eu de garder prisonnier ce qui t’échappait, que tu l’avais fait pour toi, pour ne pas laisser partir les souvenirs, fussent-ils tes pires cauchemars ?
Saigon, 1953. Paul-Bernard met sa caméra au service de l’armée française avant d’être désabusé par la guerre et ses crimes. Trente ans plus tard, celui qui se rêvait cinéaste engagé se lance dans l’industrie pornographique. Après sa disparition, son fils Pierre renouera avec l’actrice à qui le réalisateur doit ses plus grands succès et, à travers elle, avec toute une époque trouble où se croisaient chanteurs yéyés, vedettes porno et demi-monde des colonies. Sarabandes X retrace, dans une langue inventive et foisonnante, la trajectoire d’une génération qui, du début des Trente Glorieuses à nos jours, a porté l’espoir d’une incorruptibilité artistique aussitôt balayé.
Corentin Durand a vingt-huit ans. Son premier roman, L’Inclinaison (Gallimard, 2022), a été finaliste du prix Décembre.
Dans Sarabandes X, Corentin Durand nous propose un roman audacieux, dense et atypique, qui traverse des époques et des mondes en apparence opposés, mais liés par une même quête : celle de capturer l’éphémère. Ce récit, à la fois introspectif et foisonnant, mêle mémoire familiale, réflexion sur l’art et exploration de l’âme humaine, dans une langue inventive et souvent déconcertante.
Le roman s’ouvre sur Saïgon en 1953, en pleine guerre d’Indochine. Paul-Bernard, personnage central et énigmatique, met son talent de cinéaste au service de l’armée française. Ce point de départ semble promettre un récit ancré dans l’Histoire, mais très vite, le roman bifurque vers une trajectoire inattendue. Trente ans plus tard, ce même Paul-Bernard, désabusé par la guerre et ses atrocités, trouve refuge dans le cinéma pornographique, une industrie où il semble rechercher autant l’oubli que la réinvention de soi.
Cette double temporalité, où s’entrelacent guerre, art et quête identitaire, est explorée à travers le regard de Pierre, le fils du cinéaste. Pierre, en renouant avec une actrice ayant marqué la carrière de son père, plonge dans un univers où s’entremêlent souvenirs familiaux, fantasmes et désillusions d’une génération.
C'est une lecture exigeante et déroutante. Durand s’affranchit des codes narratifs traditionnels, et cela peut désarçonner. Là où je m'attendais à un roman historique ou à une plongée dans l’introspection d’un artiste en crise, Sarabandes X défie les attentes en se transformant en une réflexion labyrinthique sur le désir, la mémoire et l’art. La narration oscille entre des scènes puissantes et des passages plus abstraits, presque hermétiques.
Si le contexte historique (la guerre d’Indochine, les Trente Glorieuses) sert de toile de fond, il reste en retrait, éclipsé par les thèmes intimes et universels : le besoin de retenir ce qui nous échappe, l’ambiguïté du désir, et la frontière floue entre l’art et l’exploitation. Ce choix peut frustrer les lecteurs venus chercher un récit plus linéaire ou plus ancré dans l’Histoire.
La langue de Corentin Durand est indéniablement l’un des points forts du roman. Elle est riche, inventive, presque baroque par moments, mais elle demande une attention soutenue. Si pour certains, cette profusion est une invitation à se perdre dans un texte vibrant. Pour ma part, cela m'a semblé trop alambiquée et décourageante.
Je remercie néanmoins Babelio et les Editions Seuil de m'avoir offert cette découverte littéraire.
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