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CECI N'EST PAS UN FAIT DIVERS - BESSON, Philippe

"Papa vient de tuer maman".
Passée la sidération, deux enfants brisés vont devoir se débattre avec le chagrin, la colère, la culpabilité. Et réapprendre à vivre.
Philippe Besson s’empare d’un sujet de société qui ne cesse d’assombrir l’actualité : le féminicide. En romancier du sensible, il y apporte un éclairage singulier, adoptant le point de vue des enfants des mères tuées par leur conjoint, dont on ne parle que trop rarement. Avec pudeur et sobriété, ce roman, inspiré de faits réels, raconte la difficulté de vivre l’après, pour ces victimes invisibles.

Avant de parler de ce livre, je me permets de parler de moi car je sais que mes propos vont choquer.

 Ma mère a été victime de violences conjugales mais lorsqu'elle a senti que cela dégénérait, elle a quitté le domicile avec ses enfants. Ce qui fait que mon frère et moi avons peu de souvenir de cette période. Lorsque j'ai fini mes études, j'ai travaillé 6 mois dans une maison d'enfants où nous accueillions le lundi des enfants fracassés par leurs parents et que nous renvoyions le vendredi pour le week end chez ces mêmes parents. Après j'ai fais 6 mois à l'Association Solidarité Femmes qui aidaient les femmes victimes de violences conjugales. C'est donc un milieu que j'ai fréquenté.

Aujourd'hui, j'ai une belle famille qui ressemble comme deux gouttes d'eau à celle du livre. Un mec narcissique, qui ne sait pas parler mais hurler, insulter, rabaisser et frapper. Il faut dire que ce type est alcoolique. Sa femme pourrait être considérer comme une victime, sauf que pour ma part, je ne la considère pas comme une victime car elle a sciemment fait le choix du matériel à l'humain, et le revendique : ce qui se passe chez nous reste chez nous, c'est ma maison, j'avais pas le choix il fallait faire tourner la boutique... Et j'en passe. Le plus important pour elle, c'est le quand dira t on. Allez voir les gendarmes, mais que vont penser les gens, le nom sera trainé dans la boue... Bref, aujourd'hui c'est une famille que vit dans le dénis : non le père n'est pas alcoolique, non le père n'est pas violent. Peut-être qu'il a mis une ou deux gifles à la mère, mais ce n'est pas de sa faute. Quand il a bu un coup (ou plutôt, lorsque les autres l'ont fait boire), il peut parler fort et lâcher quelques insultes. Quand je suis arrivée dans cette famille, je me suis dressée contre ce beau père. Il était hors de question qu'on me manque de respect. Chaque fois qu'il venait à la maison, il se tenait tranquille, enfin presque : il parlait fort, insultait femme et enfants mais cela s'arrêtait vite. Comme le dit ma belle mère ce qui se passe chez nous reste chez nous. Et effectivement, elle et ses enfants n'ont jamais parlé. Je n'ai jamais été témoin de scène de violence. Sauf une fois, il a saisie sa femme par le poignet et a serré très fort. J'ai vu la belle mère grimacer de douleur ; comme il mangeait en face de moi, je lui ai envoyé un coup de pied dans le tibia. Bien mal m'en a pris, car c'est moi qui ait supporté le courroux de la famille : d'après la belle mère, il l'a prise par le poignet pour lui demander quelque chose. De quoi me mêlais-je ! Au niveau des enfants, deux filles, un garçon, adultes aujourd'hui, personne ne moufte. On baisse la tête, on attend que cela se calme, on ne répond surtout pas car ça risque de l'énerver plus. Comme le dit mon compagnon, il faut pas s'occuper de ses conneries (violences verbales du père). C'est une famille qui vit comme s'il n'était pas là. Les repas de famille se passe sans que personne n'adresse la parole au père, lorsqu’il gueule, on se tait, on attend qu'il se fatigue, et la vie continue. Sauf que... arrive les petits enfants. Un pour une belle sœur, deux pour moi, des jumeaux. Eux aussi ont été conditionné : ce qu'il se passe chez les grands parents restent chez les grands parents. Mes enfants n'ont jamais parlés et ne parlent toujours pas malgré le drame. Malgré mes coups de gueule, mes enfants s'ont allés chez eux. Je voyais ma fille y aller à reculons, mon fils revenir énervé et violent verbalement. J'ai eu de engueulades mémorables avec mon compagnon mais comme il disait, ça fait plaisir à ma mère, elle a pas une vie facile, ça lui change les idées... Engrenage très bien décrit dans le livre.

Où je veux en venir !!! Et bien un jour mon fils a prit un fusil et s'il avait eu les bonnes balles, il aurait tué sa sœur, nous et lui. Nous l'avons fait hospitalisé 3 mois en psychiatrie, service fermé. Suivi psychologique, psychiatrique et neuroleptique ; là non plus, il n'a pas parlé. Tout comme le frère de Léa, je me suis retrouvée devant cette feuille qui demandait l'internement de mon fils et à laquelle j'ai du apposer ma signature. Tout comme dans le livre, le psychiatre nous a dit que si nous ne signions pas, on nous rendrait notre fils mais sans garantie pour notre sécurité, sans garantie qu'il ne recommencera pas. On nous l'a rendu, un vrai légume. Sa vie s'est retrouvée brisée : fini l'avion, fini la bijouterie. Ce qui se passe chez nous ne sort pas de chez nous. Mon compagnon n'a rien dit à ses parents : il a juste fait une tentative de suicide... J'ai eu une altercation ultra violente avec une des belles sœur. Et là, j'ai appris ce qu'il se passait réellement derrière les portes fermées : le père qui fracassait sa femme, ses enfants. Le père, chasseur, qui n'hésitait pas prendre le fusil et menaçait tout le monde. Le père qui faisait du tir à vu sur la place du village (jamais de sa faute, c'est les autres qui faisaient du bruit)... Tout cela résumé en une phrase de ma belle sœur : "c'est pour cela que nous vivions dehors la plupart du temps. On ne savait jamais s'il allait se tuer, tuer notre mère et lui ou s'il allait tous nous tuer". Ma fille m'a quand même dit que le papi envoyait les assiettes remplies de victuailles à travers la pièce : trop chaud, trop froid, pas assez salé, trop salé... Elle a vu sa grand mère à quatre pattes à nettoyer avec l'autre lui hurlant dessus. J'ai appris que mon fils a assisté à l'étranglement de sa grand mère et qu'il a réussit à le faire lâcher en lui mettant des coups de pieds, de poing. On n'en parle pas, donc ça n'existe pas !

Tout cela pour dire quoi ! Les femmes sont victimes, oui mais il y a aussi les enfants, petits enfants. Aider les femmes d'accord, mais je pense qu'il faut aussi faire l'éducation de celles ci. Expliquer que ce qu'elles subissent, les enfants, qui sont de véritables éponges émotionnellement, le subissent au centuple. Les dégâts collatéraux, même si je n'aime pas ce terme, sont aussi important, voir plus, chez les enfants. Il faut arrêter de vivre dans le dénis : violent un jour, violent toujours. La seule justification du beau père : pourquoi je changerais ; mon père, mon grand père étaient comme ça ! Oui mais... nous sommes au 21eme siècle et la femme a des droits, et notamment celui de vivre. Je ne considère pas ma belle mère comme victime car elle a toujours couvert les agissements de son mari : toujours à minimiser les situations, toujours à trouver des justifications, des excuses, toujours à reporter la faute sur les autres... Encore aujourd'hui, son mari n'est pas alcoolique, pas violent, il parle juste un peu fort. Il faut sauver les apparences coûte que coûte, préserver la réputation, garder la maison. Le livre de Besson a le mérite de poser à plat tout cela. Il n'accable personne mais il ne se cantonne pas à la femme victime. Il développe le scénario qui conduit à l'inéluctable. La question qui reste en suspend : je savais mais je n'ai pas voulu voir. Si je n'en parle pas, alors ça n'existe pas ! Les enfants sont là aussi et assistent a ce qui se passe dans la maison. Huit clos familial  englobe aussi les enfants. Les portes fermées, les murs ne protègent de rien. Dire qu'on a pas le choix est un peu simple. Qu'est ce qui est important : protéger un homme violent, sauver les apparences ou sortir ses enfants de l'enfer. Il est peut être temps de poser les bonnes questions, voir de donner les bonnes réponses. Dans le livre de Besson, les enfants essaient de se reconstruire, chacun à sa manière. La victime est enterrée, la justice a été rendue. La société a rempli son rôle. Et les enfants ? Ils ne sont pas considérés comme victimes. Ils tombent dans l'oubli, plus personne ne se souvient, et ceux qui se souviennent ne supportent pas le poids de la douleur de ces oubliés. Isolement, vies fracassées, douleur, cauchemars, incompréhension, invisibilité. Voici le quotidien de ceux qui restent. J'ai vu une critique où la personne disait que l'auteur était tombé dans la caricature. Je suis au regret de dire à cette personne que, dans la vraie vie, cela se passe comme décrit dans le livre. Ma belle mère est capable d'anticiper tous les désirs et caprices de son mari. Lorsqu'il y a des "étrangers" à table, mon beau père est un hôte merveilleux : charmeur, blagueur... Il va même jusqu'à aider à débarrasser ou vider le lave vaisselle. Mais lorsqu'il est dans son cercle familial, il est le mâle dominant et le fait savoir. Alors Mesdames, osez regarder la situation en face, arrêtez de faire l'autruche : vous êtes en danger, vos enfants sont en danger, vos petits enfants sont en danger. Ça c'est la réalité... le reste n'est que fumée et mensonges.

Pour nous, comme pour Léa et son frère, la vie continue. Mon fils ne nous parle que par intermittence ; il nous en veut à mort de l'avoir enfermé. Et cette question qui revient sans cesse comme un cri de désespoir : Pourquoi j'ai été enfermé et pas lui !!! Oui, pourquoi ? A sa sortie d’hôpital, il a pris ses cliques et ses claques et fait sa vie loin de nous. Ma fille est traumatisée à vie, elle ne souhaite plus voir son frère jumeau qui n'existe plus pour elle. Elle a du mal a se concentrer au niveau scolaire, ne parle pas, manque de confiance en soi et revient très rarement à la maison. On essaie de l'aider comme on peut mais elle refuse de se faire accompagner. Je ne parle plus à ma belle famille qui ne se remet pas en question et ne comprend pas pourquoi je fais la gueule. Dernière phrase échangée avec la belle mère :"il faut bien que je le supporte, les autres n'ont qu'à faire comme moi !". Le seul point positif dans cette histoire, c'est que le fils de ma belle sœur a pris conscience de la violence qu'il avait en lui : il s'est fait aider avec l'hypnose et aujourd'hui il ne boit plus, mange sainement, fait du sport. Il ne montre plus de violence vis à vis de sa compagne ou des autres. Il ne voit plus ses grands parents, seul un contact téléphonique est maintenu. Pour le reste, comme dans le livre, on gère au jour le jour.

Il a fallu attendre 52 ans et un drame pour que mon compagnon ose dire à son père de fermer sa gueule et qu’il ne tolérerait plus d’être traité comme une merde. Ce à quoi ce connard a répondu qu’il était chez lui, qu’il faisait ce qu’il voulait, qu’il disait ce qu’il voulait. Ma belle mère a pris son fils par le bras pour l’emmener dans une autre pièce : il ne faut pas le mettre en colère. Alors mon beau père a eu ce rictus si caractéristique de victoire qui semblait dire : tu vois, une fois de plus ta mère me choisit. Mon compagnon est parti en claquant la porte.

La vie peut être très courte, on ne sait pas de quoi sera fait le lendemain. Mais ce qui est sûr, c'est qu'avec un homme de cet acabit, le lendemain sera toujours pire que la veille.

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