Nous pouvons classer ce roman dans les polars car il y a enquête sur des disparations et meurtres. Mais là n'est pas l'intérêt principal de ce livre. Ce que l'on retient c'est l'histoire, les personnages haut en couleur dans cette Amérique qui n'en finit pas avec la ségrégation raciale. Et puis il y a le lieu, le mythique Sud Américain, le Mississippi rural : ces villages paumés dans la forêt où les noirs sont tolérés mais pas acceptés, cette chaleur poisseuse qui vous colle à la peau, le regard des gens et leur désœuvrement qui vous suivent à chaque page. Sauf qu'ici, la partie dominante se sont les noirs et les blancs sont tolérés.
Deux personnages principaux : un blanc, un noir que rien n'aurait du rapprocher et encore moins en faire des amis.
Larry Ott, le blanc, a 41 ans. Depuis des années, il vit seul dans la maison de ses parents dont il a hérité et est passionné depuis sa plus tendre enfance par la lecture et notamment son auteur fétiche, Stephen King. Larry est mécanicien et a récupéré le garage de son père. Mais voilà, aucun client du coin ne s'y arrête. Seules quelques personnes perdues en chemin. Tous les habitants du coin évitent aussi bien Larry que son garage voire sa maison. Plusieurs années plus tôt, il a été impliqué dans la disparition d’une jeune fille, Cindy. Ils étaient allés ensemble au drive-in, et à l’issue de la soirée, elle a disparu. Son corps n’ayant jamais été retrouvé, Larry n’a pu être prouvé coupable, mais pour tout le monde, il l’est. Ainsi, Larry Ott est devenu « Larry le Pourri ».
Vingt ans plus tard, quand la fille des Rutherford disparaît dans des circonstances similaires, Larry est l’un des premiers soupçonnés.
Et puis, nous avons Silas, Silas Jones, le noir, l'enfant pauvre qui a fui Chicago pour se réfugier, avec sa mère, dans une cabane au fond de la forêt appartenant à la famille Ott depuis des générations.
Larry, adolescent pataud, bégayant, maladroit, perpétuellement en quête d'un ami, est l'un des plus émouvants personnage que le roman américain nous ait donné à connaître. Silas, adolescent bien charpenté qui a du succès au base ball et auprès des plus belles filles du coin. Une grande carrière de joueur s'offre à lui, tout lui réussi.
Le retour de Silas Jones est un portrait croisé de ces deux hommes que tout s'oppose et pourtant, que tout uni. Le roman est construit sur des flash-back qui plongent dans le passé des deux personnages. Et cette histoire simple - une histoire d'amitié trahie - prend peu à peu les dimensions d'une tragédie qui fait remonter tous les démons du vieux Sud, la confrontation des races, l'exploitation de la race noire par la race blanche. Tom Franklin multiplie les allers-retours entre passé et présent pour comprendre comment un noir pauvre, vivant dans une cabane, est devenu officier de l’ordre et, à l’inverse, comment un blanc se retrouve soumis à une vindicte publique à laquelle il n’oppose guère de résistance. Il semble se résigner. Au lieu de déménager, quitter cette terre hostile, il est resté et fait face sans broncher aux quolibets de toutes sortes. Mais les apparences pourraient-elles être trompeuses ?
Pendant que le puzzle se met en place, Tom Franklin nous transporte littéralement dans le Mississippi grâce à une écriture simple et facile d'accès, mais aussi très subtile. Franklin s’attarde sur le paysage, procède à de longues et précises descriptions. La nature est une menace constante dont il vaut mieux garder ses distances.
Tom Franklin est considéré comme le Faulkner du XXIe siècle. J'ai découvert cet auteur à travers son roman "La Culasse de l'enfer", magnifique roman inspiré de faits réels qui se déroule dans l'Alabama.
Dans ce roman ci, Franklin paraît moins excessif, plus apaisé. Plus banal, presque. Mais, trouant l'apparente sagesse de la narration, une scène - deux adolescents, deux amis, un Noir et un Blanc, se battant dans la boue pour la possession d'un fusil sous l'œil alcoolisé d'un père qui tire de cette confrontation une jouissance perverse - rappelle la violence dont est capable Franklin, et la cruauté de son univers. Les sujets abordés sont graves, mais l'auteur ne tombe jamais ni dans le vulgaire, ni dans la facilité. A lire sans modération.
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